Lors des Rencontres Chaland, qui se tenaient à Nérac (Lot et Garonne) les 3 et 4 octobre derniers, j'ai eu l'occasion d'échanger quelques mots avec Ted Benoit. J'en ai retiré quelques informations inédites sur deux de ses dessins plus ou moins récents.
Il y a quelques semaines, le blog Metropolis Journal présentait une esquisse de couverture de Ted Benoit pour un projet d'album de Blake et Mortimer proposé à l'éditeur Dargaud et refusé. De quoi donner bien sûr envie d'en savoir un peu plus sur ce projet.
Ce crayonné de couverture lui-même a en fait été réalisé pour un collectionneur qui désirait acquérir un original de Ted Benoit. Comme ce dessin le laisse deviner, ce récit aurait pris place juste après Le Secret de l'Espadon et aurait conté le retour d'Olrik à Londres après l'effondrement de l'Empire Jaune.
Le synopsis, qui restait à affiner si le projet avait été accepté, reprenait dans sa première partie le canevas du film Nosferatu de Friedrich W. Murnau. On sait que le cinéma expressionniste allemand de l'entre-deux-guerres constitua l'une des sources d'influence majeures de l'oeuvre de Jacobs et, en s'inspirant de ce film, Ted Benoit continuait en fait la démarche qui avait déjà présidé à la rédaction du scénario de L'Affaire Francis Blake, à savoir aller chercher ses sources non seulement chez Jacobs, mais aussi au-delà dans les sources mêmes de Jacobs : le roman de John Buchan Les Trente-neuf Marches pour L'Affaire Francis Blake et donc ici Nosferatu, film lui-même adapté du roman de Bram Stoker Dracula.
De même que dans celui-ci le vampire répand la peste sur son passage, le début de Résurrection (titre de travail qui n'aurait peut-être pas été conservé) nous aurait donc montré le retour d'Olrik, seul survivant d'un bateau fantôme contaminé par les retombées nucléaires des explosions ayant détruit Lhassa et l'empire de Basam Damdu et répandant cette peste moderne dans son sillage.
Le film de Murnau, comme tous les films de vampire, comporte une connotation sexuelle très forte, le vampire étant d'une part fort consommateur de chair fraîche dans tous les sens du terme et d'autre part exerçant une attraction indéniable sur les plus virginales des héroïnes et ce même à distance. C'est ce qui arrive dans Nosferatu ou Le Cauchemar de Dracula, et à peu près ce qui se serait passé ici avec Virginia Campbell, premier personnage féminin de la série créé par Jean Van Hamme et Ted Benoit dans L'Affaire Francis Blake.
La fin de cet album aurait quant à elle été liée aux essais nucléaires menés par les Etats-Unis dans le Pacifique au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
Pour justifier le refus de ce projet, l'éditeur avait avancé comme argument que les lecteurs n'accepteraient pas l'idée que Blake et Mortimer puissent côtoyer Olrik sans le reconnaître, Ted Benoit se défendant par le fait qu'Olrik n'aurait été en contact qu'avec Blake, lequel ne l'avait rencontré que très brièvement dans Le Secret de l'Espadon.
Ted Benoit fait ici remarquer que, depuis lors, Yves Sente et André Juillard ont utilisé la même astuce scénaristique dans Le Sanctuaire du Gondwana où Mortimer fréquente longuement Olrik sans le reconnaître. Celui-ci y est déguisé certes, mais dans Résurrection, il l'aurait été également. Et cette ficelle est d'autant plus grosse chez Sente et Juillard que l'on sait qu'il s'agit en fait d'Olrik qui ne se reconnaît donc pas lui-même.
Un Jeudi silencieux
La galerie Christian Desbois propose actuellement plusieurs exemplaires rehaussés de la main de l'artiste du superbe et intrigant dessin ci-dessous. Celui-ci ne constitue pas une trace d'un quelconque projet non abouti, mais une composition autonome dans laquelle chacun est invité à projeter ce qu'il veut.
Pour un connaisseur de la série Blake et Mortimer, le personnage au premier plan avec son pantalon, sa chemise, sa mèche de cheveux sur le côté, et même s'il n'est pas barbu, fait penser irrésistiblement au professeur Mortimer. La question étant posée à l'auteur, il s'avère que, si cette ressemblance n'a pas été recherchée sciemment, elle a été après coup reconnue et conservée. Mais, pour Ted Benoit, il ne s'agit en fait pas tellement d'une réminiscence de l'époque où il dessinait Mortimer, mais, au sein d'une image arrivée comme ça sans faire référence à rien de précis, d'une convergence, au sein d'un dessin assez jacobsien, de plusieurs éléments dont certains existent aussi dans l'oeuvre de Jacobs : la science-fiction, le thème des ruines et bien sûr la référence évidente à La Guerre des Mondes d'H.G. Wells. Rappelons que Jacobs avait illustrée ce roman en 1946-1947 pour le journal de Tintin et, ce travail étant concomitant de la réalisation du Secret de l'Espadon, on y retrouve d'ailleurs aussi des personnages d'allure "blakeetmortimérienne", comme ci-dessous :