Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Comme vous le savez, nous relatons régulièrement les informations relatives aux numéros composant la collection Hachette  "Voitures et Véhicules fantastiques de Blake et Mortimer", qui comprend, en plus des modèles réduits de voitures et d'engins fantastiques, des fascicules fort intéressants et très sérieusement élaborés.

 

Ces fascicules reprennent bien évidemment une présentation de la reproduction en miniature, mais pas seulement. D'autres sujets font partie de ces publications tels que des analyses des personnages secondaires, des albums à la loupe, etc. Certains articles sont particulièrement bien conçus et nous ne manquons pas à chaque fois de le faire remarquer. Nous avons donc décidé d'interviewer certains talentueux coauteurs de ces fascicules et plus particulièrement ceux dont nous apprécions le plus les articles.

 

Pour ce premier article, nous avons donc aujourd'hui le plaisir de vous présenter l'interview que nous avons faite de Brieg F. Haslé, rédacteur régulier pour cette publication.

 

SNV33002.jpg

© DR 

 

Brieg F. Haslé est également journaliste, membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée), rédacteur en chef adjoint du site bien connu des bédéphiles www.auracan.com, mais également historien de l'art et de la bande dessinée, commissaire d'expositions et conférencier. Il anime également son propre blog : bfhbd.blogspot.com.

 

Place à l'interview :

 

Qu'assurez-vous exactement dans ces fascicules ?

 
Brieg F. Haslé : Au sein de la collection bimensuelle Voitures & véhicules fantastiques - Blake et Mortimer, j’ai le plaisir d’être chargé de la rubrique « Un auteur de génie » consacrée à la vie, au parcours et à l’œuvre d’Edgar P. Jacobs. À la demande des éditions Actium qui réalisent cette collection pour le compte d’Hachette Collections, sous licence des éditions Blake et Mortimer, j’ai composé le plan général de cette rubrique en la subdivisant en plusieurs catégories qui permettront, au bout de 50 numéros et 100 pages illustrées, d’offrir un large spectre du monde de Jacobs. Je propose aux lecteurs, au fil des numéros, de mieux connaître son œuvre en évoquant ce qu’il a fait en marge des albums de Blake et Mortimer. Citons, pour exemples, ses publicités Art Déco, ses illustrations dans le journal Bravo !, son atypique space opera Le Rayon « U », le projet médiéval de Roland le Hardi, le court récit consacré à la découverte du tombeau de Toutankhamon, sa vision dessinée de La Guerre des Mondes d’H.G. Wells… Une autre catégorie évoque l’âge d’homme où je reviens sur des aspects plus privés de la vie de Jacobs : sa famille, son service militaire, sa vocation contrariée de chanteur d’opéra, ses amours, sa vieillesse et la façon dont il a préparé sa succession en créant un studio, une maison d’édition et une fondation… Il m’a également paru intéressant de présenter ses amis proches, tels le sulfureux Jacques Van Melkebeke ou les méconnus Évany et Marcel Dehaye. Bien sûr, une autre catégorie est entièrement consacrée à la relation entre Hergé et Jacobs. Il était également évident qu’il me fallait parler de ses collaborateurs et de ses successeurs. Enfin, une catégorie plus bibliographique présente divers ouvrages consacrés à l’auteur afin de mieux développer les attraits des travaux des exégètes d’Edgar P. Jacobs.

Avez-vous dû livrer votre travail pour tous les fascicules d'un coup ou le faites-vous au fur et à mesure ? De quels délais disposez-vous ?

 
Brieg F. Haslé : Rappelons que la collection a été lancée, pour ce qui est du marché français, le 6 janvier 2011. Après avoir élaboré le plan complet de la rubrique « Un auteur de génie » en septembre 2010, à l’exception des quatre premiers numéros déjà conçus avant mon arrivée dans l’équipe, je me suis immédiatement mis au travail. Je rédige et documente mes articles au fil des semaines, faisant en sorte de conserver le maximum d’avance, et je les remets au rythme de deux à quatre dossiers chaque mois. Le n° 23 étant paru la semaine passée, le 10 novembre 2011 précisément, je viens de terminer les articles prévus pour les numéros 34 et 35 qui seront en kiosques en avril 2012. Vous voyez, je fais en sorte d’avoir une dizaine de numéros d’avance… En toute logique,chaque coauteur doit rendre ses contributions bien en amont, le temps pour Actium Éditions et Hachette Collections d’effectuer les relectures, les corrections, les maquettes, les validations, l’impression, la distribution et la commercialisation.

Connaissiez-vous intimement la vie et l'œuvre de Jacobs ou vous y êtes-vous plongé pour l'occasion ?


Brieg F. Haslé : Guillaume Roux de Bézieux, le directeur d’Actium Éditions, ne m’a pas sollicité par hasard. C’est mon confrère Patrick Gaumer, auteur du Dictionnaire mondial de la bande dessinée paru aux éditions Larousse, qui lui a soufflé mon nom. En effet, cela fait plus de dix ans que j’écris sur l’histoire de la bande dessinée classique, avec une prédilection pour la BD franco-belge de style réaliste. Edgar P. Jacobs fait partie de mon panthéon personnel. Pour l’anecdote, quand j’ai débuté en 1999 sur le site Auracan.com, puis dans les colonnes du mensuel La Lettre de Dargaud, c’est en hommage au créateur de Blake et Mortimer que j’ai adopté cette signature anglo-saxonne comprenant un « F. » central… Si j’ai appris à lire dans les albums d’Hergé, si j’ai eu la chance de rencontrer Jacques Martin, j’ai le grand regret de ne pas avoir connu Jacobs. Du coup, je dois avoir lu tout ce qui a été écrit et déclaré sur son parcours et son œuvre. Par ailleurs, la proposition de rejoindre l’équipe rédactionnelle de la collection est tombée alors que je participais très activement à la réalisation de l’encyclopédie Planète BD constituée de 60 fascicules également publiés par Hachette Collections. Comme par hasard, j’y ai notamment signé les notices consacrées à la rencontre entre Hergé et Jacobs (n° 11), l’historique de la série Blake et Mortimer (n° 16) et le portrait d’un certain Edgar P. Jacobs (n° 22) !

Quelles sont vos sources de documentation ? Avez-vous eu accès à des documents inédits par Dargaud ou la Fondation Jacobs ?


Brieg F. Haslé : Par goût, passion et profession, je dispose d’une conséquente bédéthèque, composée d’albums et de nombreuses biographies d’auteurs et d’études historiques sur le 9e art. À cela s’ajoute un fond de magazines assez important. Je peux aussi compter sur les riches archives d’amis spécialistes comme Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD, à qui je demande parfois tel ou tel article quasi introuvable… Pour concevoir les articles de la rubrique « Un auteur de génie », je relis donc beaucoup de choses, recoupe les dates, confronte les sources, vérifie certaines incohérences, contacte des témoins et « farfouille » çà et là comme le fait n’importe quel chercheur. Historien de l’art de formation, j’ai de vrais réflexes méthodologiques que viennent compléter les tics inhérents au métier de journaliste. Et grâce à l’entremise de Guillaume Roux de Bézieux, nous avons la chance que Philippe Biermé nous soutienne et nous accompagne. Ancien collaborateur du Maître du Bois des Pauvres, l’actuel président de la Fondation Jacobs a accumulé une documentation exceptionnelle, notamment photographique. Très généreusement, il en partage les trésors, parfois connus, souvent rares, avec les lecteurs de la collection.

Cette immersion dans la vie de Jacobs a-t-elle modifié votre perception de son œuvre ?

 

Brieg F. Haslé : Assurément, mais ce travail me rend Edgar P. Jacobs encore plus attachant, bien loin de l’image qu’il cherchait à donner de lui, notamment dans les interviews qu’il a pu donner. Ancien baryton d’opéra, il est resté presque jusqu’au bout un acteur, un homme de la scène. Terriblement pudique, il n’a su ou voulu en dire trop sur lui. Il suffit de se plonger dans son livre de mémoires Un Opéra de papier, terriblement édulcoré, pour s’en rendre compte… Confronter les sources et multiplier la lecture de témoignages oubliés, peu ou pas connus, permet ainsi de découvrir ou souligner certaines volontés, obsessions ou névroses de l’auteur. Ceci peut expliquer tel choix narratif, artistique ou graphique : l’amateur peut alors relire d’une façon renouvelée les pérégrinations de Philip Mortimer et Francis Blake.

Pensez-vous que la vie et l'œuvre d'un auteur soient liées et que la connaissance de celle-là soit nécessaire à la compréhension de celle-ci ?


Brieg F. Haslé : Oui. Je fais partie de cette école universitaire des sciences humaines qui considère que vie privée, amicale et sociale interfère sur l’œuvre d’un créateur. En campant chaque article de la rubrique « Un auteur de génie », je cherche à faire partager cela aux lecteurs de la collection et aux amateurs de Blake et Mortimer. Si j’avais pensé le contraire, je n’aurai pas pris en charge la rédaction de cette rubrique entièrement consacrée aux mille et une facettes d’Edgar P. Jacobs, de sa vie et de son œuvre !

Gérard Lenne, dans son ouvrage Blake, Jacobs et Mortimer, avait noté que tous les personnages importants des albums de Jacobs se répartissaient en trois catégories : les savants, les guerriers et les traîtres, dont les trois héros principaux Mortimer, Blake et Olrik sont les archétypes. Comment, à vos yeux, les repreneurs de la série ont-ils repris ou modifié cette structure ?


Brieg F. Haslé : Permettez-moi, au passage, de souligner l’intérêt des travaux de Gérard Lenne. Plus encore que Blake, Jacobs et Mortimer, j’apprécie tout particulièrement son étude L’Affaire Jacobs qui est un vrai régal… Avis aux Jacobsiens ! Pour vous répondre, je rajouterai une quatrième catégorie : en sus des savants, des guerriers et des traîtres, j’ajouterai celles des « intimes ». Discrètement, Jacobs offrait aux psychologies de ses créatures de papier – qu’il s’agisse de personnages principaux, secondaires ou anecdotiques – tel ou tel trait de son propre caractère, ou relevant des qualités et des défauts de ses proches. Par nature, les repreneurs ne sont pas Jacobs : ils ne peuvent donc en faire autant, mais il est fort probable que Jean Van Hamme et Yves Sente, en tant que nouveaux scénaristes de la série, aient glissé, consciemment ou pas, leur propre ressenti dans les personnages qu’ils animent. C’est probablement pour cela qu’ils ont créé de nouveaux protagonistes…

On constate que chez Jacobs il n'y a pratiquement aucune femme et absolument aucun enfant. Il n'y a même pas d'hommes jeunes, on est dans un univers peuplé exclusivement d'hommes mûrs, ce qui est pour le moins original dans une série a priori étiquetée "jeunesse". Comment les repreneurs ont-ils modernisé la série sur ces points ?


Brieg F. Haslé : Nous n’allons pas refaire le « procès des grands anciens » en accusant les auteurs de l’École de Bruxelles – Hergé, Jacobs et Martin en tête – d’être d’affreux misogynes, snobant les personnages féminins ou ridiculisant les femmes dans leurs albums ! Les amateurs de Blake et Mortimer connaissent l’anecdote où Jacobs fut quasiment accusé d’incitation à la débauche lorsqu’il dessina une publicité voyant une charmante danseuse vêtue d’un tutu au dos d’un magazine lu par Septimus dans La Marque jaune !... Il suffit de connaître les dessins de nus féminins réalisés par Jacobs pour savoir qu’il était tout sauf un homme coincé et pudibond ! Pour ce qui est de l’absence de jeunes personnages, il était très difficile pour un auteur de bande dessinée de cette époque-là de les animer. Quel âge à le Tintin d’Hergé ? C’est un « adulescent » sans âge. Voyez comment Jacques Martin a dû vite se débarrasser de Jeanjean, le jeune protégé de Guy Lefranc !... Imaginez la réaction de certaines ligues de vertu et de bonnes mœurs si Blake et Mortimer (déjà regardés de travers car ils vivent sous le même toit…) s’étaient entourés de jeunes éphèbes ?!!! XXIe siècle oblige, les nouveaux auteurs de Blake et Mortimer ont eu l’intelligence de moderniser l’univers de Jacobs en imaginant l’arrivée de protagonistes féminins, et de nous raconter, pour ce qui est d’Yves Sente, les jeunes années de nos héros. Autres temps, autres mœurs… Jacobs n’avait-il pas montré l’exemple en modernisant peu à peu sa série, entrainant ses héros dans les années 1960 (L’Affaire du collier) ou 1970 (Les 3 Formules du Professeur Sato) ?

 


JacobscJeanPolStercq.jpg

 

 

« Signée par l'excellent photographe belge Jean Pol Stercq, voici mon portrait préféré d'Edgar P. Jacobs où le créateur de Blake et Mortimer se montre tout à la fois d'une élégance très britannique, sous un air taquin cachant peut-être sa timidité, et d'une évidente lucidité vis-à-vis d'une génération en train de disparaitre : celle de la grande époque des pionniers de la BD franco-belge. » Brieg F. Haslé

 

© Jean Pol Stercq / http://poloster.free.fr

 

 

 

Un grand merci à Brieg F. Haslé pour sa disponibilité et pour ces informations pertinentes.

 

Et rendez vous pour un prochain article avec l'interview d'un autre journaliste coauteur des fascicules Hachette Collections...

Article rédigé par Christian le 16 novembre 2011 à 07:00
Tag(s) : #Interviews en ligne