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Après les interviews de Brieg F. Haslé, de Thierry Lemaire, voici aujourd'hui une troisième interview d'un des coauteurs des fascicules accompagnant la collection Hachette "Voitures et Véhicules fantastiques de Blake et Mortimer".

 

Nous avons donc le grand plaisir de vous présenter les réponses à nos questions de Stan Barets, rédacteur régulier de ces très intéressants et très complets fascicules et amateur du Mystère de la Grande Pyramide !

 

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Dès le début des années 70, Stan Barets crée Temps Futurs, une des premières librairies spécialisées en BD. Il se tourne ensuite vers l’édition, d’abord en collaborant à Métal Hurlant, puis au sein des éditions Glénat où il assure la rédaction en chef des magazines Circus et Vécu. Il devient ensuite, pendant plus d’une dizaine d’années, rédacteur en chef de Playboy. On lui doit en outre de nombreux ouvrages et traductions dans les domaines les plus divers. Plus récemment, il a collaboré de manière très importante à l'encyclopédie Planète BD (Hachette) et on devrait bientôt retrouver sa signature dans un autre projet de collection Actium/Hachette.

 

Place à l'interview :

 
Qu'assurez-vous exactement dans ces fascicules ?


Stan Barets : Je suis chargé de l’ensemble des « véhicules fantastiques ». Ce qui exclut donc les voitures. Mais me laisse la lourde charge de rédiger les textes comme ceux sur l’Aile Rouge, le Samouraï ou autres machines atlantes. Je rédige en outre la majorité des articles de la série « Une Œuvre à la loupe ».

Avez-vous dû livrer votre travail pour tous les fascicules d'un coup ou le faites-vous au fur et à mesure ? De quels délais disposez-vous ?


Stan Barets : Je travaille à partir d’un plan de travail défini par l’éditeur. En général, mon programme est établi pour les trois mois à venir. A noter que ces articles nécessitent un très long délai pour les approbations et la maquette définitive. Ainsi le dernier texte que j’ai livré sera publié dans le fascicule 37, alors qu’à ce jour le dernier paru est le 24, je crois…

Connaissiez-vous intimement la série Blake et Mortimer où vous y êtes-vous plongé pour l'occasion ?


Stan Barets : Oui et oui aux deux questions ! Je fais partie de cette génération qui a littéralement appris à lire avec Hergé et Jacobs. Ce dernier étant d’ailleurs mon préféré. Je me souviens parfaitement avoir lu La Marque jaune lors de sa première parution. A cette époque, d’ailleurs, on voyait souvent des inscriptions tracées à la craie jaune, et reprenant cette « marque », dans les cours de récré ou sur les murs de Paris… Sans me vanter le moins du monde, je dirais presque que je connais tout Jacobs par cœur ! Mais, bien sûr, pour écrire ces articles, j’ai repris toute ma collection.

 

En revanche, j’étais parfois moins familier avec les albums des  repreneurs. Je connais personnellement plusieurs d’entre eux, comme Ted Benoit ou Juillard, que j’admire. J’avais effectivement lu leurs divers Blake et Mortimer. Mais le fait de les reprendre tous à la suite m’a révélé de nombreux points de détail qui m’avaient parfois échappé.

Quelles sont vos sources de documentation ?


Stan Barets : En ce qui concerne les « véhicules fantastiques », cela peut partir un peu dans toutes les directions ! Internet, entre autres, m’a permis quelques belles découvertes. Il n’empêche que je possède sans doute plus de bouquins sur Jacobs que de Jacobs. Et que j’y reviens sans cesse. Le plus indispensable de tous est sûrement Un Opéra de papier. Sinon, je préfère me concentrer sur les auteurs qui ont connu le maître ou ont eu un accès direct à ses archives, comme François Rivière, Claude Le Gallo et Philippe Biermé, entre autres.

Cette immersion dans l'univers de Blake et Mortimer a-t-elle modifié votre perception de la série ?

 

Stan Barets : Sans doute peu en ce qui concerne les « thèmes » jacobsiens. En revanche, j’admire un peu plus la cohérence de l’ensemble de l’œuvre, y compris depuis l’apparition des repreneurs, toujours très fidèles à l’esprit originel.

 

Par ailleurs, je me suis aussi pas mal intéressé aux évolutions graphiques. Aucun des cinq repreneurs ne dessine véritablement comme Jacobs qui, lui même, a eu plusieurs styles très différents au cours de sa carrière… Dommage que cette publication ne s’intéresse pas à cet aspect artistique de l’œuvre. Il y aurait beaucoup à dire…

Pensez-vous que la vie et l'oeuvre d'un auteur soient liées et que la connaissance de celle-là soit nécessaire à la compréhension de celle-ci ?

 

Stan Barets : Ah, le vieux débat universitaire ! Bien sûr, la vie et l’œuvre s’influencent. On crée forcément en fonction de ce que l’on est et de ce l’on a vécu. Mais une fois ce principe reconnu, il est bien difficile de passer à la pratique…

 

En ce qui concerne l’œuvre de Jacobs, on observe une évidente théâtralité, que l’on observe aussi bien au niveau des attitudes, des costumes et surtout des intrigues… C’est sans doute, son expérience et son amour de la scène et de l’opéra qui expliquent son ton déclamatoire et certaines antinomies très fortement marquées…

Gérard Lenne, dans son ouvrage "Blake, Jacobs et Mortimer", avait noté que tous les personnages importants des albums de Jacobs se répartissaient en trois catégories : les savants, les guerriers et les traîtres, dont les trois héros principaux Mortimer, Blake et Olrik sont les archétypes. Comment à vous yeux les repreneurs de la série ont-ils repris ou modifié cette structure ?

 

Stan Barets : Une sorte de tripartition un peu comme chez Dumézil ? Oui, sans aucun doute, l’analyse de Gérard Lenne est parfaitement pertinente. Elle découle d’ailleurs directement du genre des intrigues choisies par Jacobs, ce mélange de science, de fiction et d’éléments criminels.

 

Dans la mesure où les repreneurs jouent sur le même registre, avec les mêmes héros, cela se retrouve parfaitement dans la suite de l’œuvre. La seule différence tient à l’apparition de personnages féminins de premier plan. Si bien, que désormais, on trouve aussi des savantes, des guerrières et aussi des traitresses ! Pensez par exemple aux personnages de Sarah Summertown, de l’agent Jessie Wingo ou de la princesse Gita…

On constate que chez Jacobs il n'y a pratiquement aucune femme et absolument aucun enfant. Il n'y a même pas d'hommes jeunes, on est dans un univers peuplés exclusivement d'hommes mûrs, ce qui est pour le moins original dans une série a priori étiquetée "jeunesse". Comment les repreneurs ont-ils modernisé la série sur ces points ?

 

Stan Barets : L’absence d’enfants ne me semble pas une rareté dans l’univers de la BD dite « jeunesse ». Pour ne citer que des BD de cette même époque, où avez-vous vu des enfants dans les aventures de Gil Jourdan, de Jerry Spring, de Buck Danny et de tant d’autres… De même, dans les Pieds Nickelés, bande a priori « jeunesse », les trois héros sont largement d’âge mûr !

 

Non, je pense que le principal et très bienvenu apport des repreneurs est d’avoir introduit d’excellents personnages féminins… et surtout moins austères que Mistress Benson !

 

Par ailleurs, l’épisode du flashback indien, narrant la première rencontre de Blake et de Mortimer, a permis avec talent, non pas de rajeunir les héros, mais de lever un pan du voile sur leur jeunesse et de leur donner un peu plus de poids psychologique. C’est une excellente direction.

Jacobs imaginait de la science-fiction et de la politique-fiction situées à l'époque où il vivait. Les repreneurs doivent eux imaginer des situations et engins qui soient crédibles à la fois par rapport au contexte technologique ou géopolitique des années 50 et par rapport aux connaissances et aux opinions que nous avons de nos jours. S'en tirent-ils bien à votre avis ? Qu'auriez-vous fait à leur place ?

 

Stan Barets : Je n’aurais surtout pas voulu être à leur place ! Le cahier des charges était pour le moins exigeant et il faut reconnaître que chacun, à sa mesure, s’en est plutôt bien tiré. Et parfois même, mieux que Jacobs ! Car ce n’est pas lui faire insulte que de constater qu’à côté des grands albums historiques des débuts, il a eu aussi ses moments de faiblesse, comme avec L’Affaire du collier ou le triste Professeur Sato !

 

Le seul problème, c’est d’avoir cantonné les repreneurs aux limites des années 50 (ce que Jacobs n’avait pas fait : Sato se passe dans les années 70 !). Je comprends ce désir d’exploiter la fibre nostalgique. Mais j’ai peur qu’à terme, cela ne limite leurs possibilités en les restreignant à une sorte de rétro-science-fiction un peu artificielle.

 

 

 

 

Un grand merci à Stan Barets pour sa gentillesse, sa disponibilité et ses explications très intéressantes.

Article rédigé par Christian le 8 décembre 2011 à 07:00
Tag(s) : #Interviews en ligne